Dans nos deux précédents billets, nous vous avons raconté que les deux premiers appels de propositions lancés par le FAQDD avaient suscité un engouement des plus enthousiastes. En effet, plus de 400 projets ont été soumis à la toute jeune organisation qui a pu en soutenir 86.
Extrait du premier rapport annuel du FAQDD
Pour arriver à cette sélection, l’équipe en place les a évalués en fonction de leur pertinence par rapport à la mission qui lui avait été confiée ainsi qu’à travers des critères de qualité, de valeur scientifique et de méthodologie. L’excellence de l’équipe censée réaliser le projet était aussi analysée, de même que la capacité financière des organisations. « Tous ceux qu’on n’a pas retenus, je les ai appelés un par un », nous a confié Andrée-Lise Méthot, alors directrice générale. Elle leur a donné les raisons du refus et les a invités à redéposer en améliorant les aspects plus faibles de leur projet.
C’est ainsi que 15,7 M$ ont été injectés dans la transition du Québec. Parmi les projets soutenus au sein de cette première vague de financement, certains ont durablement marqué le paysage. Selon Andrée-Lise Méthot, ce sont des projets qui « ont changé le cours des choses ». Ces projets traduisent l’excellence, l’audace et le caractère résolument visionnaire des premiers employés et administrateurs qui ont fait ces choix. En voici un échantillon :
Gestion intégrée de l’eau par bassin versant
À l’époque du premier appel de propositions, l’approche de gestion des cours d’eau par bassin versant n’était pas implantée au Québec. Le modèle suscitait de l’intérêt, si bien que plusieurs projets en ce sens ont été soumis. L’équipe de départ a fait le choix de les soutenir massivement, afin que le modèle puisse s’implanter efficacement. Cette décision a eu un impact majeur, car elle a poussé le gouvernement à écrire une loi en ce sens : la première Politique nationale de l’eau.
« C’est comme si on avait préparé tout le terrain avec des projets qui allaient dans ce sens-là. On avait été un peu plus vite que le gouvernement en organisant le milieu écologique et communautaire autour de la gestion de bassin versant », se rappelle Mme Méthot. « Je pense que c’est un immense accomplissement ».
Approche par cycle de vie
L’analyse du cycle de vie est une approche et un outil d’aide à la décision qui permet d’évaluer les impacts potentiels environnementaux, sociaux et des coûts d’un produit, d’un procédé ou d’un service. C’est une approche exhaustive selon laquelle toutes les étapes de la vie d’un produit, d’un procédé ou d’un service sont considérées (de l’extraction des matières premières à la fin de vie) et qui prend en compte de nombreux enjeux de durabilité (changements climatiques, effets sur la biodiversité, utilisation de ressources minérales et fossiles, etc.).
L’approche a émergé en Europe, dans les années 90. C’est par un heureux hasard que Réjean Samson, alors professeur et chercheur à Polytechnique Montréal et titulaire principal de la Chaire industrielle CRSNG en assainissement et gestion des sites, a ramené l’idée au Québec après avoir assisté à une conférence de la « Society of Environmental Toxicology and Chemistry (SETAC) » sur ce sujet. Convaincu du potentiel de cette méthodologie, il y a intéressé son collègue Daniel Normandin, qui à ce moment était directeur, partenariat, financement et communication de la Chaire.
En 2001, le premier congrès international de la série « Life Cycle Management » a eu lieu à Copenhague. À cette occasion, Mme Jacqueline Aloisi de Larderel, alors directrice de la Division de la Technologie, de l’Industrie et de l’Économie du Programme des Nations Unies pour l’Environnement s’apprêtait à lancer la « Life cycle initiative » et cherchait des volontaires à l’international pour participer à son élaboration. Daniel Normandin a levé la main sans hésiter.
« Ma job, c’était de piloter, avec le professeur Samson, le montage d’un centre de recherche sur l’analyse du cycle de vie », nous raconte-t-il. Si le duo ne manquait ni de détermination, ni d’enthousiasme, il lui fallait trouvait des fonds. Les deux scientifiques ont eu l’idée de cogner à la porte du FAQDD qui leur a octroyé une subvention de 300 000 $.
« Le FAQDD nous a fait confiance sur une thématique alors inconnue au Canada, c’est exceptionnel! Ça a été l’impulsion de départ. Cette somme nous a permis d’aller chercher les effectifs nécessaires à la préparation du dossier que nous avons présenté à Valorisation recherche Québec ».
Le dossier en question a obtenu la plus haute note, et l’organisation (qui n’existe plus aujourd’hui) a décidé d’octroyer 1,8 M$ à l’équipe du professeur Samson pour mettre sur pied ce qui est devenu le Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG). Dès ses premières années d’existence, le CIRAIG a attiré des scientifiques européens de renom. Au terme de son financement initial, le CIRAIG mettra sur pied une chaire industrielle de recherche sur le cycle de vie.
Aujourd’hui, ce centre d’expertise, toujours situé à Polytechnique Montréal, est reconnu mondialement. Il accompagne les industries, les gouvernements, les organisations et les consommateurs dans leur démarche de transition vers une société durable soutenue par une démarche scientifique. « Le CIRAIG est une figure de proue internationale en économie circulaire, il participe aux avancées méthodologiques », nous mentionne M. Normandin. Et d’ailleurs, à ce chapitre, le centre a réalisé, en 2009, le Guide méthodologique sur l’analyse de cycle de vie sociale avec le soutien financier du FAQDD.
« C’est grâce à nous que ça existe. On a mis les sous qui ont permis de démarrer cette pensée-là au Canada », se rappelle avec fierté Andrée-Lise Méthot. « On a fait un choix éditorial. »
DESS en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi
Au cours du premier appel de projets, le FAQDD a également soutenu la mise en place du Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). À l’époque, Strasbourg et Namur étaient les deux seules villes à offrir des programmes de formation en éco-conseil. L’idée était donc d’adapter l’approche pour le monde universitaire québécois.
« Ça prenait de la vision pour soutenir le démarrage du seul programme de formation d’éco-conseillers en Amérique. Il se distingue par son caractère interdisciplinaire et par sa capacité à attaquer les enjeux de développement durable de manière transversale, multidimensionnelle et intersectorielle. Les diplômés en éco-conseil de l’UQAC sont formés à transformer, ce qui en fait des agents de changement dans leurs milieux, contribuant ainsi à la transition socioécologique. Considérant le rayonnement actuel de l’éco-conseil au Québec et ailleurs dans la francophonie, nous sommes extrêmement reconnaissants de la contribution significative du FAQDD au lancement de notre programme de formation il y a maintenant 23 ans! », affirme Jean-François Boucher, professeur et directeur des Programmes d’études de cycles supérieurs en éco-conseil à l’UQAC.
25 ans plus tard, force est de constater qu’il suscite toujours de l’intérêt. Depuis son lancement en 2002, plus de 220 diplômés se sont succédé au fil des cohortes de ce programme intensif, dont plusieurs étudiants internationaux, et avec aujourd’hui plus de 12 enseignants, professeurs et chargés de cours, qui partagent leur savoir dans le cadre du DESS et du programme court offerts à l’UQAC.
« Le rayonnement de l’éco-conseil se manifeste également par la diversité des professions occupées par les éco-conseillers formés depuis 2002. Pour preuve, selon une relance menée par l’Association professionnelle des éco-conseillers du Québec (APECQ) en 2020 auprès des diplômés de l’UQAC (environ 33 % d’entre eux), les éco-conseillers œuvrent principalement dans des ministères et organismes gouvernementaux, des OBNL ou des institutions d’enseignement (59 %), sinon une bonne proportion (31 %) travaille dans de petites, moyennes ou grandes entreprises, ou encore à titre de travailleur autonome. Parmi toutes ces professions, une très forte proportion (78 %) des éco-conseillers sondés ont mentionné que la formation en éco-conseil était essentielle à leur fonction professionnelle, sinon qu’elle constituait un atout pour leur emploi », nous indique l’Université.
Nous sommes d’ailleurs heureux de l’attrait qu’a exercé le programme à l’extérieur du pays, car l’une de nos précieuses collègues est arrivée au Québec par cette porte. En effet, en 2008, Claudine Ségui a entendu parler du DESS en éco-conseil dans un salon de la formation à Paris. Elle est immédiatement convaincue par l’approche : un programme de formation unique qui allie cours magistraux et expériences sur le terrain, le tout dans une approche collaborative qui mise sur l’humain.
« J’ai vécu tout un choc en arrivant à Chicoutimi, mais les gens ont été tellement accueillants! Nous étions une cohorte tissée serrée. Cette expérience a été extrêmement enrichissante sur les plans culturel et professionnel. 18 ans plus tard, je conserve de très beaux souvenirs et des amitiés précieuses », soutient Claudine Ségui, diplômée du DESS en éco-conseil
Le FAQDD n’a donc pas seulement financé l’implantation de cette formation de deuxième cycle universitaire. Il en a récolté les fruits! Claudine fait partie de notre équipe depuis maintenant 9 ans et occupe le poste de coordonnatrice de l’équipe Intégration du développement durable en entreprise.
Mise sur pied d’une initiative de conservation du patrimoine végétal québécois
Le FAQDD a soutenu deux initiatives soumises par l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) au sein de sa première programmation : Le projet Urgence conservation et la réalisation d’un projet pilote de mur végétalisé antibruit. Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec M. Michel Labrecque, chercheur en écophysiologie au sein de l’IRBV, conservateur et chef de la division recherche et développement scientifique du Jardin botanique de Montréal depuis 1997. Celui qui est également professeur associé à l’Université de Montréal a mené les deux projets à l’époque.
Dans un souci de préservation du patrimoine végétal québécois, Urgence conservation avait pour objectif de permettre à l’équipe dirigée par M. Labrecque de prélever des plantes rares ou en danger de disparition sur le territoire du Québec pour les implanter au sein du Jardin botanique de Montréal. L’opération était délicate, car il fallait d’abord repérer les spécimens, en prendre un échantillon viable sans mettre en péril la survie de la population et ensuite les insérer au sein de l’écosystème le plus propice parmi ceux reproduits au Jardin botanique.
Sur les quelque 270 espèces considérées vulnérables à l’époque, l’équipe a réussi à en introduire 66. Ces plantes rares et fragiles ayant besoin de conditions particulières, elles n’ont pas toutes survécu. Cependant, une vingtaine d’entre elles s’épanouissent toujours au sein de l’institution et font l’objet d’une identification particulière indiquant leur statut précaire et leur présence exceptionnelle.
« Grâce à ce financement, nous avons des représentants de plantes rares dans nos jardins », se réjouit le Conservateur qui a d’ailleurs été fait Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2022 pour sa contribution au rayonnement du Jardin botanique et pour sa contribution à la recherche en phytotechnologie.
Le projet a aussi permis de mener une initiative parallèle visant la préservation de la biodiversité. En effet, pour chaque plante qui a produit des graines, un échantillon était envoyé à la Banque de semences canadiennes. Aussi, Urgence conservation a attiré l’attention de chercheurs et de conservateurs à travers le Canada. Des initiatives similaires ont ainsi été menées et implantés à travers le pays, participant aux efforts de conservation.
Implantation du premier mur antibruit végétalisé au Québec
En ce qui concerne le mur végétalisé, M. Labrecque n’est pas moins fier.
« On se lançait un peu dans le vide! », se rappelle-t-il au sujet du mur antibruit, « on était dans une époque où on entamait des recherches sur les infrastructures vertes, bien avant que le terme phytotechnologie apparaisse ».
Il s’agit en effet d’un des tout premiers projets d’aménagement fondé sur la nature, une philosophie largement répandue et mise à profit aujourd’hui. M. Labrecque s’est inspiré d’une pratique qui avait cours en Allemagne pour en faire un projet de démonstration, une vitrine pour quiconque voulait découvrir le potentiel du saule en matière d’insonorisation, de service écosystémique et d’esthétisme. L’infrastructure de 30 mètres a été mise en place le long d’une autoroute en Montérégie, et au bout de quelques semaines à peine, un mur vivant coupait le bruit de la circulation en plus de filtrer l’air et d’attirer les oiseaux!
Le projet avait suscité beaucoup d’intérêt, attirant curieux, architectes, designers, ingénieurs et journalistes. Dans les années qui ont suivi, des murs similaires ont été installés à Laval et à Boisbriand, notamment. Des compagnies se sont ensuite lancées dans l’utilisation du saule comme technologie environnementale, dont certaines sont très actives encore aujourd’hui.
« On a donné l’élan à plein de beaux projets », se réjouit le scientifique.
L’initiative visait à établir un protocole de réalisation en plus d’étudier la viabilité du procédé au Québec. L’usage a révélé que les sels de déglaçage et la forte pollution faisaient la vie dure aux saules, et que le ministère des Transports manquait de ressources pour bien entretenir les murs érigés en bordure d’autoroute. Mais M. Labrecque lance le défi à la relève de reprendre le projet et de le pousser plus loin en testant d’autres essences, d’autres techniques : « La base est bonne, l’application est à raffiner ». À bon entendeur!
Ce bref tour d’horizon n’est qu’un aperçu de ce qu’a semé le FAQDD lors de sa première année d’opération. D’autres projets soutenus à ce moment ont aussi traversé le temps, et d’autres se sont évidemment ajoutés tout au long de notre parcours. C’est ce que nous tenterons de vous raconter dans nos prochains billets!